« Plaintes contre X » (2/4). L’enquête judiciaire d’une ampleur inédite exposant les méthodes de certains personnages de ce milieu pour contraindre leurs victimes à accepter des pratiques toujours plus dégradantes.
Dans le porno français: une mécanique,des larmes et de la violence





Au détour d’une boucle de la Seine, la petite ville normande des Andelys se dévoile. Du Moyen Age, cette commune de l’Eure a hérité son donjon, sa collégiale, ses remparts. Et de la période récente, le pavillon de Pascal Ollitrault, 60 ans, producteur star du milieu du porno, mis en examen et incarcéré pour des dizaines de viols de jeunes femmes. Sur la grille rouillée, « Pascal OP », son surnom dans le milieu, a tracé l’inscription : « ATTENTION CHIENS ». À l’intérieur, le salon est presque vide, réservé à ses trois molosses. Des couteaux ont été scotchés au mur. Au fond, le bureau avec, sur l’étagère, un godemiché noir. Des caisses servent à stocker les centaines de vidéos de French Bukkake, son site pornographique. Devant l’entrée stationne un camping-car noir. « Délabrement total », notent les gendarmes dans leur procès-verbal.
Lorsqu’ils perquisitionnent sa maison, ce 13 octobre 2020, cela fait déjà quelques mois que les enquêteurs de la section de recherche de Paris surveillent Pascal Ollitrault, et d’autres hommes, dans le cadre d’une information judiciaire ouverte pour des chefs de « viols en réunion », « traite aggravée d’êtres humains », « proxénétisme aggravé », « blanchiment », « travail dissimulé » et « diffusion de l’enregistrement d’images relatives à la commission d’une atteinte volontaire à l’intégrité de la personne ».
Une plongée dans cet énorme dossier judiciaire aide à décrypter les rouages d’une mécanique au service des plus grands diffuseurs français de porno, décidés à satisfaire coûte que coûte les millions de consommateurs de ces vidéos n’ayant d’« amateur » que le nom et la qualité technique. Des mois durant, les gendarmes ont parcouru le pays pour interroger les victimes. Si chaque histoire est singulière, la cinquantaine de témoignages sur procès-verbal esquissent un récit polyphonique où se dessine un système qui consistait à violer à trois reprises le consentement des victimes : au moment du recrutement, durant les tournages et lors de la diffusion des vidéos.
La violence des traumatismes a éclaté leur mémoire. Ainsi, Imane – les prénoms des victimes ont été modifiés –, une Marseillaise de 22 ans, confie n’avoir gardé que des « flashs » de ses trois jours en enfer. À l’été 2015, elle venait de perdre son compagnon et n’avait « plus goût à la vie ». Le genre de failles exploitées par le « recruteur », Julien D., sous le pseudonyme féminin d’Axelle Vercoutre, pour mettre en confiance ses proies, en échangeant durant des semaines, parfois des mois, des messages sur les réseaux sociaux.